La dégradation de nos bassins versants se poursuit
Les chats savent, les rats savent, mais la barrique de maïs reste là.
Le bassin versant de la rivière Mulet fait 31 kilomètres carrés. Situé dans le département du Sud d'Haïti, il s’étend sur une partie des communes de Roche-à-Bateau, Côteaux et Chantal et accueille un peu plus de 8000 habitants. Qu’est-ce qu’il a de particulier? Rien, en fait. Ce bassin versant fait partie de la liste des 85% de bassins versants en Haiti avec une dégradation environnementale avancée.
Un article en accès-libre publié dans la revue Physio-Géo a utilisé des images satellitaires pour montrer à quel point l’environnement s’est dégradé dans le bassin versant de la rivière Mulet entre 1979 et 2019. L’étude a été réalisée par trois chercheurs de l’Université du Québec à Montréal (UQAM): Zurcher Mardy, Jean-Philippe Waaub et Sebastian Weissenberger. En voici le résumé officiel:
En Haïti, et notamment dans le bassin versant de la rivière Mulet, la dégradation des milieux représente un problème préoccupant. Dans le souci de documenter l'évolution de ce bassin versant, nous avons analysé la dynamique de l'occupation des sols sur une période de 40 ans (1979-2019) à l'aide d'images satellitaires Landsat de référence (1979, 1989, 1999, 2009, 2019) et par des entretiens avec des exploitants agricoles. Les résultats obtenus ont révélé que le bassin versant a connu des changements remarquables. Sur l'ensemble de la période d'étude, les systèmes agro-sylvo-pastoraux sont la seule unité à avoir décliné, et cela sans discontinuer. Les savanes et les cultures agricoles denses ont augmenté, mais pas de façon régulière. Enfin, les affleurements de roches et sols nus se sont étendus toujours plus. Ces évolutions ont eu pour cause des contraintes économiques (effondrement des prix mondiaux du café et du cacao), un contexte politique incertain depuis 1986, qui empêche l'application de mesures de protection de l'environnement, et une succession d'événements météorologiques extrêmes (sécheresses, tempêtes, ouragans). La mise en culture sans précaution de nouvelles parcelles sur des pentes le plus souvent très fortes participe fortement à l'amplification de l'érosion des sols.
On trouve dans l’article une représentation plus visuelle de cette dégradation:
Comme on peut le voir sur le graphique, le recul des zones en vert foncé (systèmes agro-sylvo-pastoraux) est remarquable (et triste). Les affleurements de roches et sols nus (couleur marron), l’agriculture intensive (en jaune, soit des zones dominées par “des cultures vivrières et/ou céréalières, à la fois en combinaison ou en monoculture”) et les savanes (vert pâle) ont paralèllement gagné du terrain.
De façon encore plus visuelle, on peut représenter cette évolution ainsi (les photos sont tirées de l’article):



Nul besoin de rappeler qu’il est urgent de préserver nos bassins versants si on veut éviter une catastrophe environnementale et humaine, surtout avec les changements climatiques.
L’histoire tragique du bassin versant de la rivière Mulet est aussi un témoignage vivant des dégâts de la libéralisation inconsidérée des marchés agricoles et des dangers de l’insertion aveugle dans les marchés mondiaux (même si je ne suis pas fondamentalement contre le commerce international). En effet, les auteurs rapportent:
De l'avis général, les systèmes agro-sylvo-pastoraux étaient largement prédominants dans les années 1960 et 1970, notamment pour la production de café et de cacao, mais ils ont ensuite pâti de la libéralisation des marchés et de la chute des prix mondiaux. Pour pallier l'effondrement de leur revenu, les exploitants se sont tournés vers les cultures agricoles denses et ont procédé à des défrichements pour accroître les surfaces de production.
De quoi donner à réfléchir sur l’urgence de mettre en oeuvre une politique de souveraineté alimentaire en Haiti.
Pour finir, une petite capsule vidéo (préparée par la ville de Québec) sur ce qu’est un bassin versant et pourquoi c’est important de les prendre en compte pôur bien gérer l’eau et la biodiversité.