Je suis de retour avec le bulletin Haiti Recherche #7. La dernière fois qu’on s’est parlé, c’était en mai 2024. Entre-temps,
s’est joint à pour recommander mon Substack et j’ai eu de nombreux nouveaux abonnés. J’ai aussi publié un article dans The Conversation (en anglais) sur les conditions de travail dans les systèmes alimentaires locaux en Amérique du Nord. The Conversation est un média indépendant de renommée internationale qui publie des contenus préparés par des chercheurs et experts de leurs domaines, sauf que c’est écrit pour le grand public dans un style journalistique et avec l’encadrement de journalistes expérimentés. J’ai également visité une ferme de 50 000 poules pondeuses en volière au Québec, ce qui m’a donné beaucoup d’idées pour Haiti. J’ai soumis deux nouveaux articles à des revues scientifiques (fruit de plusieurs années de recherche et de travail, l’un des articles concerne Haiti), j’ai révisé deux articles pour des revues scientifiques, co-rédigé un rapport de recherche, participé à un colloque scientifique et à deux émissions en direct sur Facebook (l’un sur la souveraineté alimentaire en Haiti -en créole- et l’autre sur l’évolution du rôle des hommes et des femmes dans les foyers haitiens). Chaque fois, je pense à vous ici à Haiti Recherche et à tout ce qu’on pourrait partager. Je suis de ceux qui croient que l’on peut toujours trouver du temps pour ce qui est important. De plus, je crois avoir trouvé une formule pour écrire plus et de façon plus régulière. Cela se résume à apprendre à prendre des notes de façon plus intelligente et plus systématique (et de miser beaucoup moins sur la mémoire), ce qui peut accéler et alléger la rédaction. Je vous dirai si ça marche. En attendant, je vous souhaite une bonne lecture.Haiti: Publications scientifiques
Les grossesses non désirées sont un véritable problème de santé publique en Haiti, surtout celles qui impliquent des adolescentes. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. On parle de 53 naissances annuelles pour 1000 adolescentes de 15 à 19 ans. En 2019, on a enregistré 419 000 grossesses non désirées en Haiti. Et qui dit grossesses non désirées dit aussi nombre élevé d’avortements (souvent de façon clandestine, l’avortement étant illégal et stigmatisé en Haiti). Ce n’est pas sans lien non plus avec le taux de mortalité maternelle incroyablement élevé en Haiti. Pour chaque 100 000 naissances en Haiti, 480 mères perdent leur vie (contre 12 dans les pays à revenu élevé, 430 dans les pays à revenu faible et “seulement” 95 en République dominicaine voisine). On estime que 45% de ces décès maternels en Haiti auraient pu être évités si les besoins en matière de contraception étaient mieux comblés. Or les professionnels de la santé figurent parmi les meilleurs interlocuteurs pour promouvoir la contraception auprès des adolescentes en Haiti. Mais en Haiti, ces professionnels pourraient avoir des croyances, des préjugés et des attitudes qui les empêchent de jouer leur rôle. Une étude auprès de 58 professionnels de la santé (dont 90% sont des femmes et 53% des infirmières) a utilisé une enquête et des entrevues qualitatives pour évaluer si c’était le cas. Deux résultats importants en ressortent.
L’enquête qualitative a finalement révélé que les professionnnels de la santé avaient majoritairement des croyances et des attitudes très professionnelles et favorables à la promotion de la contraception auprès des adolescentes, ce qui est une très bonne nouvelle. Les barrières les plus fréquemment rapportées par les professionnels à leur niveau sont un manque de connaissances sur la gestion de la contraception et sur la meilleure façon d’en parler avec des adolescentes, alors que du côté des patientes, les principales barrières perçues par les professionnels de la santé sont la peur des adolescentes que leurs parents soient mis au courant de leurs activités sexuelles et le fait qu’elles ont tendance à fournir des informations inexactes aux professionnels de la santé concernant leur vie sexuelle.
L’enquête qualitative a permis d’aller plus en profondeur. Elle a confirmé que les professionnels de la santé sont préoccupés par la problématique des grossesses précoces en Haiti et ont conscience du rôle qu’ils doivent jouer pour prévenir ce problème. Ils sont ouverts à promouvoir les méthodes de contraception réversibles à action prolongée (comme les implants ou les dispositifs intra-utérins), mais manquent parfois de formation technnique en la matière. Ils croient que l’éducation sexuelle et l’éducation des adolescentes en matière de contraception sont cruciales pour une meilleure santé reproductive en Haiti, mais en Haiti le sexe reste un sujet très tabou entre les parents et leurs enfants. Certaines infirmières soulignent le fait que beaucoup d’adolescentes ont peur des méthodes contraceptives, peur de ce que la société va penser d’elles et ont cette fausse croyance selon laquelle le recours à la contraception avant d’avoir eu un enfant pourrait les rendre stériles à l’avenir. Il y a beaucoup de rumeurs et de mythes comme cela qui désincitent les adolescentes à profiter de la protection qu’offre la contraception.
Imaginez que vous écrivez un roman historique sur les années 1920 en Haiti et que vous voulez savoir quelles étaient les températures mensuelles ou journalières à l’époque ou encore quelles quantités de pluies il pleuvait à chaque mois? Vous êtes servis. Il existe maintenant une base de données hydroclimatiques. appelée Simbi, avec des séries chronologiques. Les fichiers Excel sont en accès libre ici. Je me suis amusé à créer un graphique (voir ci-dessous). Voici le résumé officiel de l’article qui m’a fait découvrir cette base de données. “Haïti, un pays des Caraïbes, est très vulnérable aux aléas hydroclimatiques en raison de fortes précipitations, en partie liées aux cyclones tropicaux. De plus, ses pentes abruptes génèrent des crues soudaines, en particulier dans les petits bassins versants. De plus, l'hydrologie de cette région reste mal connue et peu étudiée. Malheureusement, il n'existe pas de base de données accessible à la communauté scientifique dans ce pays. Pour combler cette lacune, des données hydroclimatiques ont été collectées pour créer la première base de données historique en Haïti. Cette base de données, appelée Simbi (gardien des rivières, de l'eau douce et de la pluie dans la mythologie haïtienne), comprend 156 séries mensuelles de précipitations sur la période 1905-2005, 59 séries quotidiennes de précipitations sur la période 1920-1940, 70 séries quotidiennes de débits fluviaux et 23 séries mensuelles de températures, pas nécessairement continues, sur la période 1920-1940. Il fournit également des séries de simulations d’écoulement sur la période 1920-1940 à l’aide des modèles pluie-ruissellement GR2M et GR4J pour 24 bassins versants et 49 attributs couvrant une large gamme d’indices topographiques, climatiques, géologiques, d’occupation du sol, hydrogéologiques et de signatures hydrologiques. Simbi est le premier ensemble de données hydrométéorologiques en libre accès pour Haïti et contribuera à une meilleure connaissance du risque hydrologique en Haïti. Plusieurs sources d’incertitude associées à Simbi sont reconnues, notamment la qualité des données (données historiques), la numérisation des archives papier, l’identification des pluviomètres pertinents et les modèles pluie-ruissellement. Il est important de prendre en compte ces incertitudes lors de l’utilisation de Simbi. La base de données sera régulièrement mise à jour pour inclure des données historiques supplémentaires qui seront numérisées dans le futur. Elle contribuera ainsi à une meilleure connaissance de l’hydrologie des bassins versants haïtiens et permettra la mise en œuvre de divers calculs hydrologiques utiles à la conception d’ouvrages ou à la prévision des débits.”

Traiter le cancer d’un enfant en Haiti coûte typiquement 1128 dollars US par année de vie en santé qui a été épargnée, d’après une étude récente réalisée à l’hôpital Nos Petits Frères et Sœurs-St. Damien à Tabarre. Cet hôpital est le seul hopital pédiatrique en Haiti et le seul à avoir une unité oncologique spécialement dédiée aux enfants. Ce chiffre (1128 $) peut paraitre un montant élevé, mais il représente seulement 76% du PIB par habitant. Les auteurs utilisent justement ce critère de l’Organisation Mondiale de la Santé (c’est-à-dire le fait que le coût-efficacité du traitement soit inférieur au PIB par habitant) pour conclure que le traitement du cancer des enfants en Haiti est très rentable. Concrètement, cela signifie qu’on a besoin de dépenser seulement 1128 dollars, soit moins que le PIB par habitant en Haiti (en faisant abstraction des inégalités), pour permettre à un enfant atteint de cancer de vivre une année de plus relativement en santé (cela inclut non seulement le fait de ne pas mourir d’une mort précoce mais aussi de ne pas vivre en situation de handicap ou de maladie). L’État haitien ainsi que la diaspora et les ONG et autres organisations de bienfaisance en Haiti devraient prendre note de ce résultat qui, selon moi, justifie des investissemens massifs pour sauver le plus de jeunes vies en Haiti le plus longtemps possible. En effet, ce n’est pas parce que le traitement est “rentable” (vu le faible montant dépensé pour sauver une année de vie) qu’il est pour autant abordable (beaucoup de familles haitiennes ne sont pas en mesure de se l’offrir). De plus, on estime que chaque dollar dépensé pour un enfant atteint de cancer peut rapporter au pays jusqu’à 3 dollars. L’état haitien a donc tout intérêt à investir plus pour la santé des enfants et à réduire la dépendance de ce secteur à des financements philantropiques.
Haiti: Autres publications
La politique d’Haiti pour recouvrer sa souveraineté alimentaire d’ici 2030… Le document fait 276 pages et j’ai tout lu. Il existe une version courte qui fait 40 pages. Si un compte rendu vous intéresse, faites-moi signe. Sinon, j’en ai aussi parlé dans l’émission Facebook en direct mentionnée en introduction. Cela dit, il faudra sans doute attendre le retour d’un minimum de sécurité dans le pays pour vraiment mettre ce plan en oeuvre. Comme les Kenyans sont enfin arrivés (on a même eu droit aujourd’hui à l’arrivée d’un deuxième contingent de 200 policiers), on peut espérer (voeu pieux?).
Ailleurs dans le monde
“Je me souviens d'une scène particulière d'un livre qui m'a terrifié quand j'avais sept ans. Lors d'une dispute, un personnage mineur parle d'un voyage à Calcutta où il a été témoin de la pauvreté désespérée qui y règne. Il décrit des mendiants dans les rues, affamés, couverts de plaies. Cette image mentale est restée gravée dans mon esprit pendant des semaines. Même enfant, n'ayant jamais moi-même connu la pauvreté absolue, j'en avais une terreur élémentaire.
Se demander pourquoi certaines sociétés dans le monde sont encore pauvres est la mauvaise question. La pauvreté est la condition par défaut, non seulement de l'humanité, mais de tout l'univers. Si l'humanité ne construit rien — fermes, greniers, maisons, systèmes de traitement de l'eau, centrales électriques — nous vivrons au niveau des animaux sauvages. C'est simplement de la physique.
Regardez les images des autres planètes du système solaire — des rochers stériles et désolés et des gaz toxiques cuits par les radiations. C'est l'état naturel de la plupart des planètes. Puis regardez l'existence animale dans les endroits sauvages du monde — une lutte désespérée et constante pour la survie, où les populations sont maintenues en équilibre uniquement par la famine et la prédation. C'est l'état naturel de la plupart des formes de vie. Puis regardez comment les humains ont vécu pendant la grande majorité de notre histoire — des paysans indigents de subsistance toujours à la limite de la famine. C'est l'état naturel de l'humanité préindustrielle.
Lorsque nous imaginons des fantaisies sur notre passé collectif, nous écrivons sur des rois et des princesses, car ce sont les seuls qui ont vécu des vies auxquelles nous pouvons même vaguement nous identifier aujourd'hui. Même alors, la comparaison n'est qu'approximative — le plus puissant empereur d'autrefois avait de quoi manger, mais n'avait pas d'antibiotiques, de vaccins, de toilettes à chasse d'eau ou de climatisation.” (Lire la suite en anglais sur le substack de
)“Les gens d’aujourd’hui sont beaucoup plus intelligents que ceux des générations précédentes. Une étude menée dans 72 pays a révélé que le qi moyen a augmenté de 2,2 points par décennie entre 1948 et 2020. Ce changement étonnant est connu sous le nom d’« effet Flynn », du nom de James Flynn, le scientifique qui l’a remarqué le premier. Flynn a d’abord été déconcerté par sa découverte. Il a fallu des millions d’années pour que le cerveau évolue. Comment a-t-il pu s’améliorer aussi rapidement en quelques décennies seulement ?
La réponse est en grande partie due au fait que les gens sont de mieux en mieux nourris et stimulés mentalement. Tout comme les muscles ont besoin de nourriture et d’exercice pour se renforcer, le cerveau a besoin de nutriments et d’activité appropriés pour se développer. Les enfants d’aujourd’hui sont beaucoup moins susceptibles d’être mal nourris qu’au cours des décennies passées et ont plus de chances d’aller à l’école. Mais il ne faut pas se reposer sur ses lauriers.
Ples gens d’aujourd’hui sont beaucoup plus intelligents que ceux des générations précédentes. Une étude menée dans 72 pays a révélé que le qi moyen a augmenté de 2,2 points par décennie entre 1948 et 2020. Ce changement étonnant est connu sous le nom d’« effet Flynn », du nom de James Flynn, le scientifique qui l’a remarqué le premier. Flynn a d’abord été déconcerté par sa découverte. Il a fallu des millions d’années pour que le cerveau évolue. Comment a-t-il pu s’améliorer aussi rapidement en quelques décennies seulement ?
La réponse est en grande partie due au fait que les gens sont de mieux en mieux nourris et stimulés mentalement. Tout comme les muscles ont besoin de nourriture et d’exercice pour se renforcer, le cerveau a besoin de nutriments et d’activité appropriés pour se développer. Les enfants d’aujourd’hui sont beaucoup moins susceptibles d’être mal nourris qu’au cours des décennies passées et ont plus de chances d’aller à l’école. Mais il ne faut pas se reposer sur ses lauriers.
Cette semaine, nous examinons deux façons dont les jeunes esprits sont gaspillés. Dans les pays riches, l’effet Flynn a largement fait son temps. Notre rapport spécial et notre éditorial examinent les raisons pour lesquelles le niveau d’éducation a stagné dans ces pays et les mesures à prendre pour y remédier. Dans un autre dossier, nous examinons un problème encore plus grave. Dans les pays pauvres et à revenu intermédiaire, de nombreux enfants sont encore trop mal nourris pour atteindre leur potentiel cognitif.
À l’échelle mondiale, 22 % des enfants de moins de cinq ans, soit environ 150 millions d’enfants, souffrent de malnutrition au point de présenter un retard de croissance. Cela signifie que leur cerveau risque lui aussi d’être en retard de croissance. La moitié des enfants du monde souffrent de carences en micronutriments, ce qui peut également entraver le développement du cerveau. Une mauvaise alimentation et un manque de stimulation peuvent se traduire par une perte de qi pouvant aller jusqu’à 15 points. Les conséquences sont désastreuses : une étude a montré que le retard de croissance entraînait une baisse de revenus de 25 %. Les dommages causés pendant la « fenêtre d’or » des 1 000 premiers jours après la conception sont susceptibles d’être permanents.
Le monde produit suffisamment de nourriture, mais plusieurs obstacles empêchent les nutriments d’atteindre les jeunes cerveaux. L’un d’eux est la guerre . Les familles qui se protègent des éclats d’obus ne peuvent pas sortir pour planter ou récolter, et certains gouvernements affament intentionnellement les régions agitées pour les soumettre. Un autre problème est la maladie . Les enfants affamés tombent plus souvent malades, et l’énergie qu’ils dépensent à lutter contre les microbes ne peut pas être consacrée à la croissance de la matière grise.
La pauvreté est l'une des principales causes du problème. Mais les données mondiales de l'unicef , une agence humanitaire, montrent que même si la moitié des enfants soumis à un régime alimentaire très restrictif (ne comprenant pas plus de deux groupes alimentaires) sont issus de familles pauvres, l'autre moitié n'en est pas issue. D'autres facteurs, comme de mauvaises habitudes alimentaires, sont également en cause.
De nombreux parents, même dans les pays à revenu intermédiaire, pensent qu’il suffit de gaver leur enfant de glucides et de négliger les protéines et les micronutriments. Le sexisme joue également un rôle. Dans les sociétés patriarcales, les maris mangent souvent en premier, engloutissent les protéines savoureuses et laissent leur femme enceinte avec une carence en fer. Dans certaines cultures, il est tabou pour les futures mères de manger certains aliments très nutritifs, des œufs dans certaines régions d’Éthiopie aux crevettes dans certaines régions d’Indonésie. Les mères mal nourries sont plus susceptibles de donner naissance à des bébés mal nourris.” (Lire la suite en anglais dans The Economist)
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