Le président du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) d’Haiti, M. Edgar Leblanc Fils, a prononcé avant-hier un discours très inspirant lors la 79ème Assemblée Générale des Nations Unies qui se tenait à New York. Si on écarte le sociologue militant James Beltis qui reproche au président de ne pas avoir dénoncé la discrimination raciste subie par les Haïtiens en République dominicaine, le discours a été salué par de nombreux citoyens et citoyennes et médias en Haiti et dans la diaspora.
On retiendra de ce discours:
la prise de position en faveur des migrants haïtiens à Springfield aux États-Unis victimes des calomnies de Donald Trump qui les a accusés à tort de manger les chats et les chiens de leurs voisins,
son plaidoyer pour la justice climatique (bien qu'Haïti soit l'un des pays émettant le moins de gaz à effet de serre, il subit de plein fouet les conséquences du changement climatique),
son soutien à la force multinationale en Haiti dirigée par le Kenya et son ouverture à l’idée de la transformer en une mission officielle menée par l’ONU en vue de lutter contre les gangs en Haiti (tout en dénonçant les abus passés de la MINUSTAH). Le CPT souhaite “la transformation de la Mission de Soutien à la Sécurité (MSS) en une Mission d’Opération de Maintien de la Paix (OMP) sous mandat de l’Organisation des Nations Unies”.
L’engagement du CPT à organiser des élections d’ici la fin de l’année 2025
Mais ce que les haïtiens ont surtout apprécié dans ce discours, c’est l’éloquence et le courage avec lesquels M. Leblanc Fils a introduit l’épineuse question de la dette de l’indépendance devant l’Assemblée. Voici quelques extraits que j’ai adorés.
(13:09-13:40) En proclamant l’indépendance d’Haïti, le premier janvier 1804, le général Jean-Jacques Dessalines, Père Fondateur de notre Patrie, a donné aux Droits de l’Homme leur caractère universel. En d’autres termes, avec le triomphe de la Révolution haïtienne de 1804 ayant lancé le processus de démantèlement de l’ordre colonial et esclavagiste, les Droits de l’Homme ont cessé d’être uniquement les Droits de l’homme blanc pour devenir les Droits de tous les hommes et de toutes les femmes, c’est-à-dire les Droits de l’Humanité tout entière.
En poursuivant, il a dit:
(24-27) Excellences, Mesdames et messieurs,
Je me tiens, aujourd'hui, devant cette Assemblée, en tant que voix de la République d'Haïti, pays dont l'histoire est inextricablement liée aux idéaux de liberté et de justice que nous célébrons tous ici. Mais Haïti, la première nation noire indépendante du monde, est aussi la grande victime d'une injustice historique qui a non seulement retardé son développement, a aussi marqué son peuple d'un fardeau dont les répercussions se font encore sentir.
En 1825, à peine 21 ans après avoir gagné sa liberté au prix d'une lutte héroïque, Haïti a été contrainte de payer une dette colossale à la France, pays colonisateur, en échange de la reconnaissance de son indépendance. Cette rançon, imposée sous la menace, a siphonné les ressources de la jeune nation, la plongeant dans un cycle infernal d'appauvrissement dont elle peine toujours à sortir. Cette dette a été une forme de punition pour sa hardiesse à se libérer des chaînes de l’esclavage et hisser l’être haïtien à la dignité de l’Homme. Elle a été une pénalité injuste qui a asphyxié le potentiel économique et social du peuple noir d’Haïti pendant des générations.
Dans le contexte d’aujourd’hui où plus que jamais l’attention est portée sur les efforts pour restaurer sans délai la sécurité et répondre aux immenses besoins humanitaires en Haïti, il me parait important d’attirer l’attention de l’Assemblée sur les séquelles du passé colonial et des rançons payées à certaines puissances qui ont largement hypothéqué le développement d'Haïti. Il n’est pas sans intérêt de rappeler qu’Haïti a été le seul pays à avoir payé pour son indépendance obtenue pourtant dans le feu et le sang. A la veille du bicentenaire de cet évènement inédit dans l’histoire du monde n’est-il pas venu le moment de la restitution des montants consentis ?
A cet égard, mon pays s’est félicité des propositions formulées par un certain nombre de Gouvernements et également certaines agences des Nations Unies pour des actions concrètes en vue de la reconnaissance, la réparation et la restitution des torts du passé. Haïti a confiance sans réserve dans l'Organisation des Nations Unies, dont les piliers sont la lutte pour l'égalité entre les peuples et le maintien de la paix entre les nations, pour jouer son rôle notamment dans la mise en place de mécanismes appropriés pour faciliter le dialogue entre les pays victimes de la colonisation et les anciennes puissances coloniales.
Ici, à cette 79ème session de l’Assemblée Générale, Haïti est, par mon entremise, non pas simplement pour revendiquer une réparation, mais pour poser une question de principe, celle de la justice immanente. Ma démarche est résolument engagée, structurée et bien documentée. Le Comité National de Restitution et Réparation, en collaboration avec la Commission des Réparations de la CARICOM, a déjà entrepris des travaux exhaustifs sur ce sujet. Nous demandons la reconnaissance d'une dette morale et historique et la mise en œuvre de réparations justes et appropriées qui permettront à notre peuple de se libérer des chaînes invisibles de ce passé injuste.
Jamais je n’ai peut-être été aussi fier d’une prise de parole. Bravo à Son Excellence Edgar Leblanc Fils pour son audace et ces déclarations inspirantes qui ont su habilement mêler diplomatie, équilibre et détermination. J’ai pu trouver le pdf du discours complet pour vous. Bonne lecture!