Busan, Corée du Sud, 1er décembre 2024. Après une semaine de négociations, une centaine de pays échoue à conclure un accord pour un Traité international sur la pollution plastique. Certains pays africains, particulièrement touchés par le phénomène de la pollution plastique, sont déçus. Ils indiquent qu’ils préfèrent ne pas conclure d’accord du tout et reprendre les négociations en 2025 plutôt que de conclure un accord édulcoré et pas suffisamment contraignant pour aider à résoudre le problème de la pollution plastique dans le monde. Haïti était représenté à ce 5ème cycle de négociations en Corée du Sud par M. Jimmy Fenelon, de la Direction Cadre de Vie et Assainissement du ministère de l’Environnement.
Source: UNEP
Les déchets plastiques constituent en effet une problème environnemental énorme dans le monde. Dans les Caraïbes la situation est très critique. La mer des Caraïbes, l’un des endroits les plus visés par les touristes, est inondée de déchets plastiques selon un rapport de la Banque Mondiale en 2019. Les données du rapport révèlent que la concentration de matières plastiques dans le Nord-Est des Caraïbes est estimée à 200 000 débris/Km2. Environ 80 % de ces déchets proviennent des activités réalisées sur terre, y compris l’activité agricole, même si on ne met pas souvent en avant les déchets plastiques issus de l’agriculture. Le rapport souligne aussi que 322 745 tonnes /an de plastiques sont délaissées dans la nature dans certains pays des Caraïbes.
En Haïti, la question de déchets plastiques constitue un problème majeur et des mises en garde contre ce danger existent depuis les années 1990 (voir l’archive dLOC plus bas). Les déchets plastiques non collectés en Haïti sont estimés à 93 730 tonnes/an (St Louis et al.,2021). Il s’agit des déchets ménagers. Ce qui veut dire que la situation est plus grave que ça, puisque ce n’est pas seulement au niveau des ménages qu’on utilise des produits en plastique en Haïti. Même si on n’a pas de données sur les plastiques agricoles, on sait que l’utilisation des plastiques est courante dans la chaine de valeur agricole en Haïti. On peut prendre l’exemple de Saint-Raphaël où les agriculteurs utilisent souvent des produits phytosanitaires emballés dans des sacs ou des bouteilles en plastiques. Sans oublier que la majorité des pépinières en Haïti sont réalisées dans des récipients en plastiques (sachets et pots). On peut aussi citer l’exemple des « madan sara », ces femmes commerçantes qui distribuent les produits agricoles à travers villes et campagnes et qui utilisent des sacs pour transporter les produits des champs vers les marchés. Enfin, lorsque quelqu’un achète des produits agricoles au marché ou encore au supermarché, ces produits sont souvent emballés dans des sachets en plastiques.


Source: UNFPA
Tout comme les déchets plastiques ménagés, les déchets plastiques issus de la chaine de valeur agricole ne sont souvent pas collectés et biens gérés en Haïti. Si des pratiques durables ne sont pas mises en place, la situation va s’aggraver car un rapport de la FAO publié en 2021 estime que l’usage des plastiques de la chaine de valeur agricole mondiale aura tendance à augmenter dans les années à venir vu les avantages que procurent les plastiques pour ce secteur. Le rapport fait 160 pages, si vous le trouvez long, ce n’est pas grave. Nous l’avons lu pour vous. Dans ce billet, nous vous proposons une plongée en profondeur dans le rapport de la FAO sur les plastiques dans la chaine de valeur agricole et ses principaux enseignements.
Usages et avantages des plastiques en agriculture et dans les chaines agroalimentaires
Tout d’abord, le rapport présente les avantages des plastiques pour le secteur agricole. Ces avantages sont:
réduction des pertes et déchets alimentaires,
maintien de la qualité nutritionnelle au long de la chaine de valeur, amélioration de la sécurité alimentaire,
réduction de la contamination des produits,
réduction de la demande en eau (réduction de l’évaporation dans le sol, réduction des pertes dans les systèmes d’irrigation),
optimisation de la germination,
réduction de l’utilisation des herbicides (un sol couvert de plastique est moins susceptible de favoriser la propagation de mauvaises herbes),
extension des campagnes et protection contre les froids et chaleurs extrêmes (culture sous serre),
augmentation du rendement des cultures (création de microclimats favorables à la nutrition des plantes),
réduction de dommages par les animaux (protection des pépinières ou des jeunes plantes dans les forêts en les entourant de plastiques rigides),
facilitation de la fermentation des graminées pour l'alimentation animale (ensilage en plastique),
facilitation de la capture des poissons et crustacées (filets, flotteurs…),
optimisation des coûts et besoins en carburant pour les transport des produits,
accès des consommateurs à des informations sur les produits (emballage).
Le tableau ci-dessous présentent les différentes phases de la chaine de valeur où les plastiques sont utilisés. Dans la production végétale on utilise les plastiques lors du semis pour protéger la semence et faciliter sa germination, dans les étapes du développement de la culture (par exemple les contenants fertilisants et produits phytosanitaires, mulch et serre en plastique, sachet pour protéger les bananes), dans l’irrigation (tubes goutte-à-goutte, PVC), lors de la récolte, du transport et du stockage des produits. En élevage, ils sont utilisés dans la production d’aliment et de fourrage et dans le soin des animaux. En foresterie, ils sont utilisés dans la gestion de la plantation. Les plastiques sont aussi utilisés dans la pèche marine et en aquaculture. L’usage des plastiques est très courant aussi dans les phases de transformation, distribution et consommation des produits agricoles.
En ce qui concerne la durée de vie des plastiques utilisés en agriculture, elle varie en fonction du type de plastique et dans quel sous-secteur il est utilisé. Cela peut aller de moins de 10 mois à 60 mois comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous (Figure 1) qui montre que les plastiques utilisés pour protéger les arbres forestiers peuvent durer 60 mois.
Figure 1. Durée de vie des plastiques selon le secteur ou l’usage en agriculture
Le rapport de la FAO nous dit que les avantages que procurent les plastiques pour la chaine de valeur agricole font que la quantité utilisée n’est pas négligeable. Dans la phase de production, la quantité utilisée est d’environ 12.5 millions de tonnes/an soit 3.5% des 359 millions de tonnes de plastique produite dans le monde en 2018. Cette quantité se répartit comme suit : 10 millions de tonnes en production végétale et animale, 2.1 millions de tonnes dans la pêche et aquaculture, 0.23 million de tonnes en forets, 0.1 million de tonnes comme contenants de produits de fertilisations et le reste pour le contenant de pesticides. Quant à la phase de l’emballage (packaging) des produits, la quantité s’élevait à 37.3 millions de tonnes en 2019. Malgré tout, on ne connait pas la quantité totale pour toute la chaine de valeur notamment pour les phases de stockage, de transformation et de distribution comme indiqué sur le graphique ci-après (Figure 2).
Figure 2. Quantité de plastiques utilisée par année dans la chaine de valeur agricole
Source: FAO, 2021
Ce rapport prévoit une tendance à la hausse de l’utilisation des plastiques dans le secteur vers 2030 du fait de l’augmentation de la population et des besoins d’adaptation au changement climatique.
Désavantages de l’utilisation des plastiques en agriculture
L’utilisation des plastiques en agriculture n’a pas que des avantages. Le rapport indique que les plastiques en agriculture causent de nombreux dommages. Ces dommages causés peuvent être indirects (par exemple, par des émissions diffuses de GES lors de la fabrication et du transport) ou directs (comme les impacts localisés sur la fonction du sol et la santé des animaux de pâturage, par exemple). La mauvaise gestion des plastiques dans le secteur agricole et agroalimentaire engendre des problèmes tels que : pollution marine, pollution des sols agricoles, problème de santé animale et de santé humaine - notamment à cause des microplastiques. La FAO classe les dommages en 3 grands types. Il s’agit des dommages :
Physiques, tels que : Enchevêtrement et piégeage qui affectent le mouvement des animaux aquatiques ; Ingestion et inhalation des plastiques causant des problèmes respiratoires et cardiovasculaires ; Occlusion, soit le fait que les plastiques nuisent le mouvement des éléments du sol et affectent les propriétés physico-chimiques du sol. C’est sans oublier le cout économique qui peut être associé à ces dommages (ex : le cout lié à la pollution marine des plastiques dans le sud de Californie serait de 2.5 millions de $/an).
Chimiques: Les substances chimiques contenus dans les déchets plastiques sont généralement toxiques pour les animaux et les humains à travers la libération des additifs et les résidus de combustion. Ils peuvent aussi contribuer à l’augmentation du niveau de salinité des sols agricoles.
Biologiques : La combinaison d'effets chimiques et physiques peut provoquer des réactions biologiques chez les organismes du règne animal, végétal et microbien (par ex : Obstacles radiculaires, lésions cellulaires ou tissulaires, etc.).
Des solutions existent !
Le rapport fournit un ensemble d’options de rechange et d’interventions pour une utilisation durable des plastiques en agriculture. Les approches de durabilité mentionnées dans le rapport sont les suivantes :
Légiférer pour interdire l’utilisation de certains types de plastique en agriculture (par exemple les polymères non biodégradables dans l’emballage des fertilisants)
Substituer les polymères par des produits biodégradables
Utiliser des matériels organiques pour le mulching ou pratiquer la culture de couverture peut aider à réduire l’utilisation des plastiques en agriculture. Le mulching (ou paillage en français) est une technique agricole qui consiste à recouvrir le sol autour des plantes avec une couche de matériau organique ou inorganique (par exemple, des films plastiques). Les mesures recommandées à ce niveau permettront non seulement d’éviter les émissions de GES liées aux plastiques mais aussi d’augmenter la capacité du sol à capter le CO2 grâce aux matières organiques incorporées.
Augmenter la solidité du plastique utilisé pour le mulching et sa résistance à la déchirure. Cela facilitera sa récupération après la récolte.
Réutiliser les plastiques dans d’autres campagnes agricoles
Labéliser les plastiques pour faciliter leur traçabilité et la gestion des déchets
Mise en place de politiques incitatives à la réduction et le recyclage des plastiques utiliser en agriculture et élevage
Adopter des techniques d’irrigation qui requièrent moins de plastiques dans le sol
Réaliser des clôtures avec des jeunes pousses permet de réduire l’utilisation des plastiques comme protections dans les forets
Utiliser l’intelligence artificielle comme identification biométrique peut contribuer à limiter l’usage de marqueurs auriculaires en plastique
Utiliser des ficelles à base de produit naturel
De plus, le rapport cite une série de dispositifs réglementaires internationaux et des mesures liées aux légalisations régionales et nationales sur lesquels on peut se baser pour promouvoir des pratiques durables concernant l’usage des plastiques en agriculture. Les dispositifs réglementaires internationaux sont les suivants :
la Convention (1972) et le protocole (1996, 2006) de Londres sur l’interdiction de rejet de déchets en mer;
la Loi de Nations Unis sur la mer (1982) qui dans la partie 12 fait référence à la conservation de l’environnement marin par le bais de principe de prévention, de réduction et de contrôle de la pollution de cet environnement ;
la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (1983) qui dans l’annexe 5 interdit le déversement des plastiques dans la mer;
la Convention sur le droit des utilisations des eaux internationales à des fins autres que la navigation (1997) qui est portée sur la qualité de l’eau ;
la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination ( 1989 et révisée en 2019) et les directives techniques associées dont une bonne partie concerne les déchets plastiques ;
la Convention de Stockholm sur les polluants organiques polluants organiques persistants (POPS) en 2001 dont une partie est liée au brûlage de déchets plastiques ;
la Convention sur la diversité Biologique (1992) qui fait référence à la réduction de l’impact de la pollution par des plastiques sur la biodiversité marine ;
les 18 conventions régionales sur la mer ;
l’Agenda 2030 pour le développement durable ;
le Code de conduite international sur la gestion des pesticides de FAO et OMS, le Code de conduite sur la pèche responsable de la FAO, ou encore le Codex Alimentarius de FAO et OMS.
Les mesures liées aux législations régionales et nationale mentionnées dans le rapport sont les suivantes : Politiques stratégiques de long-terme, Initiatives volontaires, Réglementions sur la traçabilité des produits et sur l’interdiction de certains plastiques et de mesures économiques (par exemple des taxes sur certains plastiques, des incitatifs sur les bonnes pratiques liées à l’usage des plastiques).
L’agriculture haïtienne peut faire sa juste part dans la lutte contre la pollution par les plastiques
Enfin, ce rapport fait le point sur un sujet qui est très peu présent dans les discussions sur les plastiques. Dans certains pays, comme Haïti, lorsqu’on parle de déchets plastique on réduit souvent la question aux déchets ménagers. Cette approche réductrice constitue une faiblesse dans la politique de gestion de déchets plastiques.
Pour pallier ce problème, le rapport de la FAO met le projecteur sur les plastiques agricoles dans l’idée de propulser une approche holistique de la politique de gestion de déchets plastiques dans le monde. Le rapport nous dit que les plastiques sont utilisés dans toute la chaine de valeur agricole et la quantité utilisée n’est pas négligeable. Dans une logique de durabilité des systèmes agroalimentaires, le rapport propose de s’appuyer sur une série de mécanismes politiques et règlementaires pour l’amélioration de la gestion des plastiques agricoles. De plus, le rapport indique un ensemble d’alternatives et d’interventions basées sur une approche d’économie circulaire pour des systèmes agroalimentaires plus durables.
Les propositions de la FAO offrent des pistes intéressantes pour les pays des Caraïbes, particulièrement Haïti où la question des plastiques constitue un fléau environnemental majeur. Cependant, le rapport ne donne aucune information sur les coûts comptables et les coûts de transaction liés aux pratiques durables. Il reste donc des travaux plus spécifiques à mener pour évaluer comment accompagner de façon juste et équitable les petits exploitants des pays en développement à faire de meilleurs choix en matière d’utilisation des plastiques.