"La violence est un manque de vocabulaire."
Et le choix de vocabulaire peut aussi être une violence
Cette infolettre arrive dans un contexte spécial. C’est étrange, chaque fois que je lance une nouvelle infolettre, une nouvelle guerre se déclenche… Vous pouvez d’ailleurs relire mon bulletin de mars 2022, écrit dans le contexte du conflit Russie-Ukraine. J’y écrivais par exemple, commentant le livre de MacMillan sur la guerre:
Parfois considérée comme la plus complexe des activités humaines, la guerre a contribué à forger nos sociétés et leurs territoires, mais nos sociétés, en évoluant, ont aussi transformé la façon dont on fait la guerre et les raisons pour lesquelles on la fait. La violence chez l'humain est peut-être innée et existe depuis les temps préhistoriques, mais les guerres humaines, en tant qu'activités organisées, sont des produits de la société et ne seraient pas "naturelles". Leur étude, libérée des normes, des discours partisans et de toute fausse pudeur, est nécessaire pour bien comprendre la société. Plutôt que de nous faire croire naivement que la paix est l'état normal de la vie en société, comme si les guerres étaient des accidents de son histoire, ce merveilleux livre publié en 2020 par l'historienne Margaret MacMillan, invite à une discussion franche et bien documentée (elle connait son sujet) sur la guerre, son histoire, ses raisons et ses déraisons ainsi que ses impacts (négatifs, mais parfois aussi positifs, malgré l'horreur et les gaspillages).
Je suis très sensible aux événements horribles qui se passent actuellement dans le cadre du conflit Israel-Hamas. Je passe même beaucoup de temps, depuis le 7 octobre, à rester informé sur tout ce qui se passe et à tenter de mieux cerner ce conflit dont j’entends parler depuis mon enfance (dans les chansons haitiennes, dans les médias, etc.).
Je suis sidéré par le manque de vocabulaire dans les médias et chez les dirigeants de beaucoup de pays, incapables de dénoncer à la fois l’horreur de l’attaque du Hamas et celle de la réponse disproportionnée d’Israel contre des civils. Ils restent coincés dans un monde qui est soit noir soit blanc, alors que le vrai monde est rempli d’arcs-en-ciel. Le mot de Gilles Vigneault prend tout son sens ici, face à ces discours rigides et incapables de nuance:
“La violence est un manque de vocabulaire.”
Soit dit en passant, on n’a pas besoin d’être un expert pour savoir quand une horreur est commise, quand l’humanité est bafouée. Le conflit Israel-Palestine est un vieux conflit, historiquement chargé, extrêmement complexe et polarisé. C’est normal de se sentir perdu et de ne pas savoir quoi en penser et qui croire. D’ailleurs, j’éviterai moi-même de le commenter ici, car j’ai trop peur de me tromper, même si je connais bien les grandes lignes. Je suis scrupuleusement un certain principe: éviter, dans la mesure du possible, de commenter publiquement un phénomène sur lequel je n’ai pas consulté au moins un livre ou un article scientifique ou toute autre source qui ne reste pas en surface. Et parfois, je refuse de commenter quelque chose même lorsque je connais bien le sujet. Toutefois, peu importe notre niveau d’expertise sur le conflit Israel-Palestine, comment ne pas être horrifié devant ce spectacle de mauvais goût?
Cela dit, au lieu de vous servir un sermon empreint d’ultracrépidarianisme (pour ne pas dire de cuisterie) sur un conflit que je ne maitrise pas en profondeur, je vais profiter de cette infolettre pour vous suggérer des contenus tiers que j’estime très informatifs et très accessibles. Ils fournissent des clés essentielles pour mieux comprendre le conflit Israel-Palestine et son origine. Le premier est un documentaire de 1992 qui dure 2 heures…
Le deuxième est une excellente synthèse (21 minutes) d’un Youtubeur sur la chaine Histoires Crépues. L’auteur arrive à mettre en lumière, dans une vidéo très accessible et équilibrée, le rôle des colons britanniques et de l’Europe dans l’histoire de ce conflit. Le point fort de la vidéo est de rappeler que ce n’est pas simplement un conflit entre Israel et la Palestine.
Oh, j’allais oublier. Il y a aussi le Hezbollah libanais. Pour comprendre son rôle dans le conflit, vous pouvez consulter ce très bon documentaire d’Arte sur le sujet. Il dure 51 minutes.
Par ailleurs, pour revenir à Haiti (même si ces conflits internationaux ne sont pas non plus sans lien avec Haiti), je vous informe que je travaille depuis le début du mois sur un sujet qui me tient à coeur depuis quelques temps: les violences contre les personnes âgées. Le 1er octobre dernier était en effet la Journée internationale des personnes âgées. Bien sûr, presque personne n’en a parlé.
Mon intérêt pour cette question a décollé avec ma conjointe qui étudie les soins infirmiers et qui devait préparer un travail là-dessus. J’en ai profité pour moi-même m’informer sur le sujet (oui, j’ai lu quelques livres, plusieurs articles scientifique et discuté avec des travailleurs sociaux et des professionnels en contact avec les personnes ainées). Puis j’ai été amené à me demander qu’est-ce qu’on en sait pour le contexte haitien, qui est bien différent du Québec (avec une population haitienne très jeune mais ayant une espérance de vie relativement limitée). Je n’étais pas surpris de voir qu’on en parle très peu.
Alors j’ai réalisé qu'un des privilèges offerts par Haiti Recherche est la liberté d'explorer des problèmes, même ceux qui sont moins médiatisés, sans la contrainte de la quête de likes caractéristique des réseaux sociaux. Ici, je suis libéré de cette pression car je sais que vous, en tant qu'abonnés, avez choisi de vous engager en raison de votre intérêt pour les sujets touchant Haïti. Et je vous en suis très reconnaissant. Attendez-vous à ce que de temps en temps, et même de plus en plus, je vous surprenne avec un travail approfondi sur des sujets peu explorés comme ça, mais non moins préoccupants. Le seul hic, ça prend parfois du temps pour produire des travaux approfondis. Mais on ne va pas arrêter.
Et peut-être que je raterai quelques mardis, comme hier, quand mes autres vies rendent malheureusement impossible une nouvelle publication, mais j’essaierai de toujours vous apporter quelque chose chaque semaine. Et, n’en déplaise à mon patron actuel que j’espère non abonné à cette infolettre, je balancerai tout pour me consacrer entièrement à Haiti Recherche et à l’écriture le jour où je dépasserai 1000 abonnements payants. C’est de l’humour, bien sûr, mais pas seulement…
A mardi.
Azima