Cher lecteur, chère lectrice,
J’ai trouvé que cette chanson de Renaud était une excellente introduction à ce bulletin. Oui:
“Toujours vivant, rassurez vous
Toujours la banane toujours debout
J'suis retapé, remis sur pieds
Droit sur mes guibolles ressuscité
(…) Mais je n'vous ai jamais oubliés
Et pour ceux à qui j'ai manqué
Vous les fidèles, je reviens vous dire merci
Vous m'avez manqué vous aussi
Trop content de vous retrouver”
Je suis donc de retour, après une session à l’université qui s’est révélée plus chargée que prévu. Les deux cours que je donnais à l’Université Laval sont enfin terminés, j’ai encore quelques étudiants en Haiti à encadrer, une pile de copies à corriger et des articles à rédiger, mais le plus dur est derrière moi.
Me voici donc “retapé” et plus excité que jamais de reprendre ce Substack. Et c’est cet état d’esprit que j’aime avoir en écrivant. C’est aussi pourquoi je préfère ne pas publier quand je ne me sens pas prêt, je préfère sauter quelques mardis plutôt que d’écrire sous pression (même si je reconnais que l’adrénaline a parfois des vertus).
Ce qui me motive aussi à continuer, en plus de la fidélité de mon lectorat et du fait que j’adore ça, c’est la situation alarmante du pays. Je ne peux rester indifférent face à tout ce qui se passe. Mettre en lumière, à travers ce substack, le fait que, malgré tout, il y a des chercheurs et des chercheuses en Haiti comme à l’étranger qui continuent de produire, de créer, de réfléchir à des solutions, c’est ma façon à moi de rappeler que tout n’est pas mort, tout n’est pas perdu.
Je me plais aussi à penser que de telles initiatives, à défaut de pouvoir influencer le présent, préparent l’avenir. Un jour, peut-être pas demain, Haiti aura besoin de science pour se développer. Ce substack sera un rappel qu’on ne partira pas de zéro car des masses de recherches et d’idées ont été déjà générées et n’attendent qu’à être appliquées.
Donc, nous revoilà. On va rattraper le bulletin du mois d’avril. On va y aller doucement et augmenter, au fil des bulletins, le nombre d’articles couverts. Ce qui est certain, il y a toujours plus d’articles intéressants que ceux que je peux humainement présenter en travaillant seul. Cela dit, j’ai aussi redécouvert un outil, le gratuiciel Publish or Perish, qui me permet d’être plus efficace dans mon travail de repérage de la littérature scientifique sur Haiti. Et comble de générosité, je vous mets le fichier Excel comprenant les 979 premiers résultats en lien avec Haiti apparaissant dans Google Scholar pour l’année 2024. Bonne chance pour vous repérer là-dedans. Dans ce bulletin, j’ai sélectionné pour vous quelques-uns des travaux qui me semblent les plus intéressants.
Sur ce, je vous souhaite bonne lecture!
Stevens
Publications Scientifiques
Le racisme institutionnel dans les universités au Québec
Source et Date : Race Ethnicity and Education, 2024
Conclusion Principale : Le racisme est encore présent dans les universités au Québec et a également un caractère institutionnel.
Résumé (traduit et adapté): Cette étude vise à éclairer le rôle de l'université comme espace contribuant à la (re)production et même à la réification des relations sociales de race. Pour cela, les auteur.es (Marie-Odile Magnan et d’autres collègues de l’Université de Montréal) ont recueilli les opinions de 30 étudiants inscrits en première année de premier cycle pour analyser comment le racisme institutionnel se manifeste à travers des interactions de microagression, c'est-à-dire le racisme subjectif ou manifeste exprimé par des individus ou à travers des pratiques institutionnelles, comprises comme des processus indirects pouvant avoir des effets non planifiés sur les groupes racialisés via des sentiments de traitement inéquitable. Ces étudiants sont nés de parents immigrants d'Haïti et d'Afrique subsaharienne. Cet article montre que, malgré un déni du racisme systémique par le gouvernement québécois, les données collectées révèlent des relations sociales de race inégales dans la vie quotidienne et les pratiques des institutions académiques. Les étudiants, à travers leurs propos, tendent à souligner l'existence d'une frontière liée aux relations de pouvoir entre ceux qu'ils nomment les Blancs et les Autres. Ils relatent des incidents de microagression, qui semblent normaux ou banals pour le groupe majoritaire, prenant souvent la forme d'humour, qui les ramène constamment à leur altérité, leur positionnement social vis-à-vis des relations de pouvoir, qu'ils décrivent comme infériorisant. Ils mettent également en lumière la perception de ces frontières au niveau institutionnel dans le choix du personnel embauché, dans l'image blanchie de l'institution dans les matériaux promotionnels, dans la prédominance d'un curriculum formel et caché ethnocentrique ou raciste ainsi que dans la vie étudiante.
Implications pour Haïti : J’ai une fois dit à une amie québécoise que je viens d’un pays où il n’y a pas de racisme. Bien sûr, je savais bien qu’il y avait encore cette question de couleur remontant à l’origine même de l’État haitien, la persistence du colorisme ainsi que les conséquences actuelles du néocolonialisme en Haiti. Mais ce que je voulais signaler à mon amie, c’est qu’une société sans racisme est possible. Avant de venir au Québec, je n’avais qu’une vague idée du fait que j’étais noir. Je ne me voyais pas comme noir. Je n’étais pas noir. J’ai vraiment commencé à l’être en arrivant ici. Avant, j’étais simplement une personne. J’y pensais très peu, sauf quand, amusé, je voyais un compatriote avec la peau un peu plus claire que la moyenne se faire appeler “Blanc”. Un Blanc qui vient séjourner en Haiti, je ne dis pas que sa vie sera facile, mais il sera automatiquement un privilégié. Un Haitien qui atterit au Québec, même s’il était un privilégié en Haiti, devient automatiquement une personne marginalisée. Pourtant, c’est la même personne. Je n’ai connu qu’une seule université au Québec, l’Université Laval. Je ne peux pas dire qu’elle a été hostile envers moi. En fait, je l’ai même trouvée très accueillante. J’ai bénéficié de l’encadrement d’une directrice et de directeurs blancs très ouverts d’esprit avec qui je n’ai jamais ressenti le moindre malaise. Il faut dire aussi que mon département a un pourcentage d’étudiants noirs plus élevé que la moyenne, ce qui aide sans doute à créer un milieu plus inclusif. Cependant, j’ai bien vécu des formes de racisme institutionnel et individuel à l’université. Parfois, ou même souvent, ce n’était pas méchant, comme l’indique cet article. Cela pouvait prendre la forme d’un humour déplacé qui trahit une certaine volonté de “détendre l’atmosphère”. En tant que noir, tu as aussi l’impression que tu as moins droit à l’erreur et que tu dois travailler deux fois plus pour avoir droit aux mêmes options que tout le monde. J’ai aussi été témoin de certaines formes de “ségrégation” très subtile entre Blancs et Noirs. J’ai même connu aussi des formes plus extrêmes de traitement inégal (et je n’ai pas été le seul), mais je ne suis pas prêt à en parler. Je n’entrerai pas dans les détails, mais je tenais à souligner que malgré que dans l’ensemble je trouve la société québécoise très accueillante et chaleureuse, malgré aussi ma grande reconnaissance envers elle parce qu’elle m’a accueilli, le racisme institutionnel est bien réel et tant qu’on ne l’admettra pas (ce que refuse de faire le Premier Ministre François Legault), on ne pourra pas l’éradiquer. Et tant qu’il n’est pas éradiqué, les Haitiens et Haitiennes d’ici, les québécoises et québécois d’origine haitienne, tout ce beau monde-là qui a contribué à rebâtir le Québec à partir des années 1960, ne se sentira jamais vraiment comme chez lui.
La médecine de catastrophe
Source et Date : Elsevier, 2024
Conclusion Principale : Les systèmes de santé et leurs médecins, partout dans le monde, doivent prêter plus d’attention à cette discipline émergente qu’est la médecine de catastrophe vu le caractère souvent imprévu des grandes catastrophes ainsi que la multiplication et la diversification des sources de risques depuis quelques temps.
Résumé:
La médecine des catastrophes est une spécialité médicale qui répond aux besoins particuliers des victimes de désastres. Elle s’intègre dans une réponse multidisciplinaire qui n’est pas seulement médicale. Initiée dans les années 1980 à partir de la fusion entre la gestion des catastrophes (aujourd'hui gestion des urgences) et la médecine d'urgence, cette discipline n'est pas encore une sous-spécialité médicale accréditée, mais elle a été mise en pratique lors de grands événements catastrophiques comme le tsunami en Thailande, les attentats de Madrid du 11 mars 2004, l'ouragan Andrew de 1992 aux États-Unis, le séisme de 2010 en Haiti. Comme vous pouvez le voir, la nature d’un désastre peut beaucoup varier, allant des catastrophes naturelles (comme les séismes, les cyclones, les épidémies, les pandémies) aux désastres provoqués par les humains (comme les attaques terroristres, sans oublier les accidents). Le propre du désastre, selon le texte, c’est le fait que son ampleur est telle que le système social (y compris le système de santé) n’a pas les capacités d’y répondre comme en temps normal. Donc ce n’est pas en soi le nombre de victimes qui fait le désastre (l’auteur prend l’exemple d’une catastrophe qui tuerait “seulement” 20 personnes dans une zone rurale reculée mais qui mériterait tout de même d’être qualifiée de désastre). De plus, on peut rarement prévoir qui sera une victime de désastre ni quel médecin devra prendre soin des victimes de désastres, car comme le rappelle l’auteur, ça peut arriver n’importe où et n’importe quand. Beaucoup de victimes de désastres vaquaient la veille à leurs occupations sans même soupçonner que le lendemain leur vie allait changer ou qu’ils allaient la perdre. Ce chapitre de la deuxième édition (2023) du livre Ciottone's Disaster Medicine (qui fait plus de 1000 pages) souligne l'importance pour les médecins spécialistes des urgences de s'approprier et de perfectionner la médecine des catastrophes afin de répondre efficacement aux désastres majeurs, tout en adhérant à des normes élevées de connaissance et de conduite morale. En plus d’exposer le professionnel de la santé à des cas extrêmes de souffrance humaine (due à la nature violente et imprévisible des catastrophes), les catastrophes imposent parfois des dilemmes éthiques douloureux et traumatisants pour les médecins concernés. La médecine des catastrophes pose en effet des situations éthiques uniques, notamment lorsqu’il s’agit d’appliquer le principe de maximiser les soins selon les ressources disponibles et la probabilité de survie des patients. Le triage des patients est alors crucial, mais il peut conduire à des décisions où des patients gravement blessés peuvent ne pas recevoir de soins au profit de ceux ayant de meilleures chances de survie. Cette approche du triage, bien que nécessaire, peut être extrêmement éprouvante psychologiquement pour les soignants, confrontés à la nécessité de parfois refuser des soins aux patients les plus nécessiteux. Enfin, le chapitre met aussi l’accent sur ce qu’on appelle le “cycle du désastre”, qui présente le désastre comme une série d’étapes qui s’enchainent, allant de la phase de préparation qui précède le désastre proprement dit, à la phase de mitigation-prévention, en passant bien sûr par l’étape de réponse qui succède immédiatement au désastre, puis de la phase de “récupération”.
Implications pour Haïti : Ce chapitre, qui se lit agréablement bien, souligne l’intérêt pour tous les professionnels de la santé, en particulier les urgentologues, de s’intéresser au cas très particulier des désastres. Ceux-ci mettent souvent à l’épreuve les systèmes de santé, qui peuvent se retrouver débordés. De plus, on ne peut jamais vraiment savoir à quoi s’attendre: quelles maladies, quels problèmes, quelle clientèle, etc. on aura à traiter. Les ressources limitées peuvent aussi imposer des choix éthiques difficiles pour le soignant, comme on l’a vu il n’y a pas longtemps avec la COVID-19 (notamment en Italie). En Haiti aussi, lors du séisme, des choix déchirants ont dû être faits, notamment en matière d’amputations, mais apparemment certains de ces choix étaient injustifiés, ce qui soulève encore la nécessité pour la médecine de catastrophe de reposer sur des fondements éthiques solides, d’autant que ce n’est pas encore une spécialité accréditée et supervisée comme le sont d’autres spécialités en médecine.
Une nouvelle édition de ces deux livres vient de paraitre. Les tendances en matière de test de dépistage du VIH-SIDA parmi les femmes haitiennes
Source et Date : BMC Infectious Diseases, 2024
Conclusion Principale : Le recours au test de dépistage du VIH-SIDA, recommandé dans la lutte contre ce fléau, a considérablement augmenté parmi les femmes sexuellement actives en Haiti de 2006 à 2016, passant de 8% à 21% de ces femmes à avoir fait le test, malgré un recul de 2012 à 2016. Cette augmentation n’est pas seulement due à l’augmentation de la population, c’est même surtout le fruit de véritables changement de comportements, selon les auteurs.
Résumé (adapté):
Contexte. Le VIH/SIDA demeure un enjeu majeur de santé publique avec la prévention des infections par le VIH comme objectif global. Selon le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA), 38,4 millions de personnes vivent avec le VIH (PVVIH). Plus des deux tiers proviennent de l'Afrique orientale et australe. Cette région a enregistré 670 000 des 1,5 million de nouvelles infections et 280 000 des 650 000 décès liés au SIDA dans le monde en 2021. La région des Caraïbes est la deuxième plus affectée par le VIH au monde. Les données récentes indiquent une prévalence du VIH de 1,2% chez les adultes dans cette région, avec 14 000 nouvelles infections en 2021. Haïti représente à elle seule près de la moitié des nouvelles infections par le VIH et des décès dus à des maladies liées au SIDA dans la région. Malgré des efforts significatifs pour réduire les nouvelles infections par le VIH au cours des deux dernières décennies, le nombre de PVVIH reste élevé en Haïti. Plus de 150 000 personnes vivent avec le VIH, ce qui représente une prévalence de 1,8%. Parmi les PVVIH, un tiers ne connaît pas leur sérostatut et 58% ne reçoivent pas de traitement antirétroviral. Il est également à noter que l'infection par le VIH est répartie de manière disproportionnée selon le genre en Haïti, avec une prévalence de 2,2% chez les femmes contre 1,4% chez les hommes.
Objectifs. La recherche vise à identifier les tendances et facteurs associés à l’utilisation du test de dépistage du VIH par les femmes en Haiti.
Méthodes. Les données de cette étude ont été extraites des trois dernières Enquêtes démographiques et de santé en Haïti (2006, 2012 et 2016/17). Il s’agit d’enquêtes représentatives à l’échelle nationale. Elles fournissent des informations sur la fertilité des femmes, la mortalité infantile, l'utilisation de contraceptifs, les infections sexuellement transmissibles, et les problèmes de santé maternelle et infantile en Haïti.
Résultats. L’étude montre une augmentation du pourcentage de femmes sexuellement actives qui se sont fait tester de 8,8% à 24,1% de 2006 à 2012, suivie d’une baisse ramenant le taux d’utilisation à 21,3% en 2016-2017. Malgré cette baisse, sur la période 2006-2016, on peut dire que le recours au test est devenu plus populaire parmi les femmes sexuellement actives en Haiti, ce qui est une bonne chose, car le dépistage non tardif du VIH-SIDA permet une meilleure prise en charge. L’étude montre aussi que des changements dans les comportements expliquent 82,5% de variations observées dans le recours au test de dépistage. Enfin, le recours au test semble lié à différents facteurs socio-démographiques. En 2006, le test était plus populaire dans le département du Centre, alors qu’en 2012 c’était au département du Nord et en 2016-2017, au département du Nord-Est. Avant, c’était le groupe des femmes jamais mariées qui y avait plus souvent recours, mais depuis 2012, ce sont surtout les femmes en couple qui y ont recours. Les femmes avec un statut économique élevé, qui sont très instruites, etc. étaient plus susceptibles d’utiliser le test. L’article met en lumière beaucoup d’autres facteurs, y compris la religion. C’est ainsi qu’on apprend que le recours au test est plus populaire chez les Chrétiens que chez les non Chrétiens.
Implications pour Haïti : Les efforts pour sensibiliser la population sur le VIH-SIDA semblent porter fruit, mais les tendances de 2012 à 2016-2017 montrent qu’il faut redoubler d’efforts et investir encore plus pour que plus de gens sexuellement actifs se fassent tester régulièrement.
Varia
Lire le reportage tout en couleurs de
sur la grande fête annuelle de Lakou Souvnans, un temple emblématique dans le vodou haitien.Surnaturel
Cette série existe depuis 2005 et je viens à peine de la découvrir (honte à moi!). Elle explore les mythes et croyances mystiques à travers le globe pour raconter une histoire poignante entre deux frères très attachants qui parcourent les États-Unis pour combattre les forces du mal. Les 15 saisons sont disponibles dans Prime Video!
Un des livres lus et aimés récemment
Enfin, aujourd’hui c’est mon anniversaire. Mais rien n’est prévu. J’ai même été chez le dentiste, le pire cadeau à s’offrir le jour de son anniversaire…