Cher lecteur, chère lectrice,
Le bulletin Haiti Recherche est de retour, avec un format légèrement modifié. Les résumés des articles scientifiques sont repris directement du texte original, mais parfois adaptés pour rendre le langage plus naturel. Quand c’est nécessaire, j’ajoute d’autres repères pour bien comprendre l’importance de la contribution et ses implications pour Haiti. Quant aux rapports et aux reportages, les liens et le titre sont simplement indiqués, quand c’est nécessaire j’ajoute un commentaire plus personnel. J’introduis également une section Varia où je mets un peu de tout, librement (comme les lectures en cours, des idées sans suite, etc., tout). Enfin, j’ai affiné ma stratégie de recherche dans les bases de données, ce qui a permis de multiplier par 10 le nombre d’articles pertinents sur Haiti que je découvre. C’est certes plus de travail au niveau du tri, mais aussi la garantie de pouvoir dénicher les meilleurs articles ou ceux qui sont les plus intéressants. En espérant que vous appréciez ce nouveau format, je vous souhaite bonne lecture.
Publications Scientifiques
L’usage des plantes médicinales par les femmes haitiennes de la diaspora
Source et Date : Journal of ethnobiology and ethnomedicine, 12 janvier 2024
Conclusion Principale : Même dans la diaspora et même lorsqu’un meilleur accès à des soins de santé modernes existe, les femmes haitiennes continuent activement d’utiliser les plantes médicinales à des fins préventives et curatives, notamment pour ce qui concerne l’accouchement, le post-partum et la santé sexuelle.
Résumé (traduit): Malgré la disponibilité des soins de santé biomédicaux conventionnels à New York (NYC), les pratiques ethnomédicinales communautaires restent un traitement à faible coût et culturellement pertinent pour de nombreux immigrants. Des recherches antérieures en ethnobotanique urbaine à NYC ont établi que plusieurs communautés caribéennes continuent d'utiliser des plantes médicinales pour la santé des femmes après l'immigration. Cette étude a cherché à déterminer dans quelle mesure : (1) les femmes haïtiennes de NYC continuent d'utiliser des plantes médicinales pour la santé des femmes après la migration ; (2) leurs plantes et les conditions traitées étaient similaires à celles identifiées dans une enquête antérieure avec des immigrants de la République Dominicaine à NYC. À travers une enquête ethnobotanique, 100 femmes haïtiennes vivant à NYC et nées en Haïti ont été interrogées sur leur connaissance des plantes médicinales pour les conditions de santé des femmes. Les espèces rapportées ont été achetées selon les noms locaux dans les magasins et marchés haïtiens de NYC, échantillonnées et identifiées. Presque toutes les femmes haïtiennes (97 %) ont rapporté utiliser des plantes médicinales lorsqu'elles vivaient en Haïti. La plupart des femmes haïtiennes ont continué à utiliser des plantes médicinales après leur arrivée aux États-Unis (83 %). La diminution de 14 %, bien que significative (z = 3,3 ; p = 0,001), était principalement due à des difficultés logistiques d'approvisionnement en plantes après une immigration récente. Les espèces de plantes médicinales populaires rapportées étaient principalement des plantes alimentaires mondiales, réaffirmant la relation entrelacée entre alimentation et médecine dans les diasporas caribéennes. La comparaison avec les données des Dominicains de NYC a identifié l'accouchement et le post-partum, les infections gynécologiques et le nettoyage vaginal comme préoccupations prioritaires pour la santé des femmes haïtiennes traitées avec des plantes.
Implications pour Haïti : Je vois trois implications. 1) Il ne faut pas penser qu’un meilleur accès à des soins de santé conventionnels en Haiti va nécessairement pousser les femmes haitiennes à renoncer à la médecine traditionnelle, puisque même à New York City ça n’a pas été le cas. Il faut donc composer avec l’existence de ces savoirs traditionnels et voir comment la médecine moderne peut coexister avec eux ou même comment ils peuvent se renforcer mutuellement. 2) Il y a un marché potentiel à développer dans la diaspora pour mieux approvisionner les personnes originaires d’Haiti et des Caraibes en général en plantes médicinales et fiables; toutefois, la confirmité de ces usages et produits avec la réglementation souvent stricte des pays développés reste à déterminer. Il demeure qu’Haiti a peut-être un avantage concurrentiel en matière de production de certaines de ces plantes médicinales et qu’elle pourrait profiter de l’accès aux marchés de la diaspora. 3) La médecine traditionnelle est aussi une médecine préventive . On regrette souvent que les pauvres n’utilisent pas assez la médecine préventive, à cause de leur préférence pour le présent. Même s’ils consultent les médecins seulement quand c’est grave, ça ne veut pas dire que les pauvres ne se soucient pas de leur santé. En fait, ils utilisent peut-être d’autres méthodes, conformément à leur système de croyances mais aussi à ce que leur revenu leur permet, pour prévenir et guérir les problèmes de santé. Une politique inclusive de lutte contre la pauvreté doit prendre en compte ces préférences. Et ici encore, on voit que les femmes sont de véritables gardiennes de la préservation et de la transmission de ces savoirs ethnobotaniques, même dans la diaspora.
Vers une télémedecine pédiatrique efficace en Haiti?
Source et Date : BMJ Paediatrics Open, janvier 2024
Conclusion Principale : Un service de télémédecine pour enfants peut fonctionner en Haiti.
Résumé (traduit): L’objectif de l’étude était de développer et d’évaluer une directive pour un service de télémedecine pédiatrique et de livraison de médicaments. La directive a été dérivée du Manuel de Prise en Charge Intégrée des Maladies de l'Enfant (PCIME) de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS). La directive a été déployée dans un service de télémédecine en Haïti et évaluée à travers une étude de cohorte prospective; les enfants âgés de 10 ans ou moins ont été inscrits. Pour les cas non graves, des examens virtuels et en personne appariés ont été effectués au centre d'appel et au domicile ; les cas graves ont été référés à l'hôpital. La performance des composants de l'examen virtuel a été évaluée par comparaison avec les résultats de l'examen en personne apparié (qui servait de référence). Un total de 391 cas ont été inscrits. Parmi les 320 cas avec examens appariés, aucun signe de danger général de l'OMS n'a été identifié lors des examens en personne ; 5 cas (2 %) ont nécessité une référence hospitalière en raison de signes de danger spécifiques au problème ou d'autres raisons d'escalade. (…) À 10 jours, 273 (95 %) des 287 cas joints par téléphone étaient améliorés/rétablis. Les composants critiques de l'examen virtuel (triage, signes de danger et évaluation de la déshydratation) ont bien performé malgré une performance variée parmi les composants spécifiques au problème.
Implications pour Haïti : Une amie affirmait catégoriquement que la télémédecine ne peut pas fonctionner en Haiti. Apparememnt, elle se trompait.
Initiative pour une ressource chirurgicale durable en Haïti : le Projet SSRI-Haïti
Source et Date : Global Health Action, 31 décembre 2023
Conclusion Principale : Il y a des leçons à titrer du Centre Médical Saint-Luc si on veut développer de nouveaux centres chirurgicaux durables et de pointe en Haiti qui utilisent un personnel 100% haitien.
Résumé (traduit): En réponse au tremblement de terre de 2010 et à l'épidémie de choléra subséquente, le Centre Médical Saint-Luc a été établi à Port-au-Prince, Haïti. Cet article décrit sa création et son évolution pour inclure une unité de soins intensifs et deux salles d'opération, ainsi que le personnel, la formation et les activités d'apprentissage expérientiel, qui ont aidé Saint-Luc à devenir une ressource chirurgicale durable. Un modèle en trois phases pour établir un centre chirurgical durable en Haïti est décrit: construire l'installation et acquérir l'équipement ; former le personnel et réaliser des chirurgies ; fournir une éducation continue et une expansion incluant des visites régulières de spécialistes. L’article rapporte une augmentation progressive du nombre et de la complexité des cas réalisés par un personnel entièrement haïtien de 2012 à 2022. L’article conclut par une brève description de la formation d'un centre chirurgical à distance à Port-Salut. Établir des centres de chirurgie durables et collaboratifs opérés par le personnel local accélère la capacité des pays à ressources limitées à répondre aux lourdes charges chirurgicales.
Implications pour Haïti : Ces iniatives apportent de l’espoir car elles renforcent les compétences locales et réduisent la dépendance d’Haiti de l’étranger pour l’obtention de soins chirurgicaux de pointe. Les médias devraient donner plus de visibilité à ces histoires de succès.
Le tabac tue en Haiti
Source et Date : BMC Public Health, 14 décembre 2023
Conclusion Principale : Plusieurs facteurs (le genre, l’âge, etc.) doivent être pris en compte dans la lutte contre le tabagisme en Haiti.
Résumé (traduit): Bien que le tabac ait des effets néfastes sur la santé physique et mentale des individus, son usage reste significatif, selon l'Organisation Mondiale de la Santé. Pour comprendre ce phénomène, des études ont été menées dans de nombreux pays du monde, tandis qu'en Haïti, où plus de 5 000 personnes meurent chaque année à cause du tabagisme, peu de choses sont connues sur l'usage de cette substance. L'objectif de cette étude était d'examiner la prévalence et les facteurs associés à l'usage du tabac en Haïti. L’étude a utilisé les données de l'Enquête démographique et de santé haïtienne de 2016/17. Des analyses descriptives et multivariées ont été réalisées à l'aide du logiciel STATA 16.0 pour évaluer la prévalence et identifier les facteurs associés à l'usage du tabac. La prévalence de l'usage du tabac était estimée à 9,8 % chez les hommes et à 1,7 % chez les femmes. Bien que la prévalence de l'usage du tabac soit faible chez les jeunes, elle augmente avec l'âge. Les répondants âgés de 35 ans et plus, sans éducation formelle, non chrétiens, divorcés/séparés/veufs, issus des ménages les plus pauvres, des zones rurales, de la région de l'Aire Métropolitaine de Port-au-Prince, avec une forte exposition aux médias avaient une probabilité plus élevée de consommer du tabac.
Implications pour Haïti : Le fait que la consommation de tabac est faible chez les jeunes est un point positif, mais comme cette consommation augmente avec l’âge, cela montre qu’il faut redoubler d’efforts en matière de sensibilisation et de contraintes d’accès. Le tabagisme reste aussi un problème d’homme en Haiti. Il faut reconnaitre cette dimension genrée du problème pour concevoir des campagnes de sensibilisation mieux ciblées et plus efficaces.
Une histoire rapide de l’élargissement du droit à l’avortement dans le continent américain
Source et Date : Frontiers in public health, 6 décembre 2023
Conclusion Principale : L’élargissement du droit à l’avortement parmi les pays de l’Amérique latine et des Caraibes raconte un récit inégal dans lequel Haiti a peu de raisons d’être fière.
Résumé (traduit): Cet article de réflexion replace l'annulation par la Cour Suprême des États-Unis en 2022 de l'arrêt Roe contre Wade (1973) dans l'histoire plus large de l'activisme et de la législation sur le droit à l'avortement dans les Amériques. L'opinion publique américaine a souvent perçu l'Amérique latine et les Caraïbes (ALC) comme conservatrices sur les questions de genre et opposées aux droits reproductifs. Cependant, l'ALC du XXIe siècle offre un paysage plus complexe que ne le suggère le récit dominant. Au cours des 15 dernières années, des avancées et des reculs politiques, législatifs et de santé publique dans la région ont fourni à la fois un modèle pour rétablir l'accès à l'avortement sûr et légal et un avertissement sur les conséquences de la criminalisation de l'avortement pour les États-Unis. En adoptant une approche narrative qui résume la littérature interdisciplinaire récente, cet article retrace l'histoire de l'élargissement de l'accès à l'avortement dans les Amériques. Le Mexique (2007, 2023), l'Uruguay (2012), l'Argentine (2020) et la Colombie (2022) ont légalisé l'avortement à la demande dans des délais spécifiques. Ces extensions coexistent avec des restrictions sévères sur l'avortement dans divers pays, dont Haïti (1835), la République dominicaine (1884, 2009), le Honduras (1985, 2021), le Salvador (1997) et le Nicaragua (2006), ainsi que dans certains États des États-Unis (2022). Selon cet article, la légalisation se produit lorsque les activistes féministes délaissent la rhétorique féministe basée aux États-Unis sur les droits individuels et le choix pour reformuler l'avortement comme une forme de violence basée sur le genre, dans un discours de santé et de bien-être comme droit humain. Selon cette perspective, les restrictions d'accès à la procédure constituent une forme de violence contre les femmes et les personnes enceintes et violent les droits humains.
Implications pour Haïti : Il est temps qu’Haiti abolisse ses restrictions absurdes en matière de droit à l’avortement. Haiti doit suivre les bons exemples dans la région et non les mauvais (ironiquement, les États-Unis ne figurent pas parmi les meilleurs exemples de respect de ce droit humain fondamental pour les femmes.
Haiti: mangeons-nous du riz importé empoisonné?
Source et Date : Journal of Agriculture, Food Systems, and Community Development, 2024
Conclusion Principale : Le riz importé a des concentrations de cadmium et d’arsenic plus élevées que le riz local en Haiti. Or, ce sont des métaux toxiques. Et comme nous consommons beaucoup de riz en Haiti, il y a un risque de santé publique.
Résumé (traduit): Le riz constitue près d'un quart de l'apport alimentaire en Haïti. La consommation de riz a commencé à augmenter rapidement durant les années 1980 et 1990, suite à des politiques encourageant l'importation et la consommation de riz cultivé aux États-Unis, faisant rapidement d'Haïti le deuxième plus grand marché d'exportation pour le riz américain à l'échelle mondiale. Les producteurs haïtiens cultivent et vendent aussi du riz local. La consommation de riz peut être une source importante d'exposition aux métaux toxiques, car les plantes de riz accumulent de l'arsenic et du cadmium de leur environnement. En août 2020, les auteurs ont recueilli des échantillons de riz local (n=48) et importé (n=50) dans des points de vente de la région de la Basse Vallée de l'Artibonite en Haïti. Les concentrations de cadmium et d'arsenic ont été mesurées par spectrométrie de masse à plasma inductivement couplé. Les niveaux ont été comparés entre les échantillons de riz commercial local et importé. Pour l'arsenic, une étude de simulation a été menée pour estimer la consommation d'arsenic à partir de différentes quantités d'échantillons de riz local ou importé, en fonction du poids corporel pour les adultes et les jeunes enfants. Il a été constaté que les concentrations médianes étaient presque deux fois plus élevées pour l'arsenic et le cadmium dans le riz importé (0,15 µg/g et 0,007 µg/g) comparé au riz local (0,07 µg/g et 0,003 µg/g). La simulation de la consommation d'arsenic à travers la consommation de riz suggère que les adultes de différents poids consommant 3 tasses ou plus de riz importé par jour dépasseraient un niveau minimal de risque quotidien pour la toxicité. La simulation indique également que la plupart des enfants consommant 1 tasse ou plus de riz local ou importé par jour dépasseraient une limite de consommation d'arsenic basée sur la santé. En Haïti, le riz importé présentait en moyenne un niveau d'arsenic deux fois supérieur à celui du produit cultivé localement, certaines sources importées dépassant même les limites internationales recommandées pour protéger la santé humaine. Les habitudes actuelles de consommation de riz importé à long terme pour les enfants et les adultes pourraient avoir un impact négatif sur la santé en Haïti. Renforcer les systèmes alimentaires communautaires peut favoriser une meilleure santé.
Implications pour Haïti : Il faudra bien sûr confirmer ces résultats par d’autres études indépendantes et utilisant d’autres méthodes. Mais pour l’instant, la prudence est de mise. Le riz importé menace la santé des Haitiens. Le gouvernement doit en urgence améliorer le contrôle de qualité de ce que les haitiens consomment. Les haitiens aussi doivent aprendre à consommer plus de riz local tout en diversifiant l’alimentation des enfants.
Travaux Académiques et Institutionnels
Résumé: Aux États-Unis, les organisations caritatives allouent chaque année des milliards de dollars en dons privés au développement mondial, mais on sait peu de choses sur les activités résultantes, la portée géographique et l'impact collectif. Cette recherche de thèse enquête sur ce type d'aide privée et de financement du développement en Haïti et la relation subséquente avec la démographie des ménages. En analysant 1 812 organisations caritatives avec des programmes en Haïti, cette étude trouve que les organisations caritatives ont alloué collectivement 2,55 milliards de dollars en dons privés à des programmes en Haïti pendant l'année fiscale 2017-2018. Ces fonds ont été alloués à des programmes hors du champ des programmes de développement conventionnels pour le développement rural, incluant 97,13 millions de dollars pour les orphelinats et 93,76 millions de dollars pour l'évangélisation. Cette étude conclut également que la démographie des ménages est affectée par les orphelinats qui reçoivent des dons substantiels. Dans une analyse de régression logistique, des résultats statistiquement significatifs montrent que pour chaque orphelinat supplémentaire par 100 000 personnes en Haïti, la probabilité qu'un enfant âgé de 0 à 4 ans soit placé en famille d'accueil externe augmente de 3,7 pour cent. Le financement caritatif collectif alloué aux orphelinats haïtiens augmente leur prévalence dans les communautés, ce qui influence les décisions des ménages de placer les enfants en famille d'accueil externe.
Varia
Le Nouvelliste: Le cacao haïtien est très demandé
Netflix: Toute la lumière que nous ne pouvons voir (série TV)
Synopsis: “Tout au long d'une décennie les destins entrecroisés de deux héros dont la Deuxième Guerre mondiale va bouleverser l'existence : Marie-Laure Leblanc, une jeune Française aveugle réfugiée chez son oncle, et Werner Pfennig, un adolescent allemand véritable génie des transmissions radio. Grâce à un lien secret partagé, ils retrouvent la foi en l'humanité et entrevoient une lueur d'espoir.”