Au Québec
Aujourd’hui, sur le campus enchanteur de l’Université Laval, j’ai rencontré mes étudiants pour la dernière fois, lors de l’examen final. Le moment était chargé d’émotion. Une session bien remplie s’achevait et nous avions parcouru tout un chemin ensemble.
Je quitte le Québec pour une nouvelle aventure ailleurs, aux États-Unis. J'ai vécu deux tiers de ma vie en Haïti, l'autre tiers ici, dans cette Belle Province devenue ma seconde Alma Mater. C’est un pays magnifique, peuplé d’âmes généreuses et chaleureuses. Je m’y suis toujours senti accueilli et il me manquera.
Après dix années passées ici ou icitte, je serais bien en peine de dire ce qui, du français québécois, de la chaleur humaine, du sens poussé du service à la clientèle, de la préference pour le débat plutôt que la violence, des mille nuances de neige et de la météo, de la bière, de la poutine, du sirop d’érable, de l’humour devenue industrie, du folklore tissé serré, des sacres ou des hôpitaux aux noms de saints, incarne le mieux l’identité québécoise. Une chose est certaine : de cette identité, je ne garde que de la lumière (si on omet le feuilleton du “troisième lien” dans lequel j’ai vu le Québec se faire mener par des politiciens pendant des années).
J'ai vu des forêts sans fin. Au Québec.
J'ai pagayé sur des lacs miroitants. Au Québec.
J’ai affronté des montagnes imposantes (quoique beaucoup plus rares qu’en Haiti). Au Québec.
Je me suis sucré le bec jusqu’à me saoûler, au Québec.
J'ai vu la beauté. Au Québec.
J'ai construit des amitiés éternelles. Au Québec.
Et rien que pour tout cela, je lui serai éternellement reconnaissant au Québec.
Mon seul regret : n’avoir pas goûté aux planches du théâtre québécois. Mais ici, j'ai découvert une littérature foisonnante, un peuple actif et militant, j’ai participé à des manifs, j’ai visité les clubs littéraires où les rêves étaient fabriqués.
Et j'ai même parfois entrevu, tard dans la nuit, ce que les villes québécoises pouvaient offrir de plus vil. Je pense ici, plus jeune, aux soirées dans les boites de nuit. Et c'était, aussi, étrangement, d’une certaine beauté.
Ceci n’est donc pas une lettre d’adieu. Plutôt une lettre d’attente, une promesse faite à ce peuple attachant : celle de revenir, même s’il ne me laissera jamais, pas plus qu’Haiti n’a jamais déménagé de mon coeur.